En Côte d’Ivoire, particulièrement dans le district autonome d’Abidjan, le coût du bail à usage d’habitation continue de grimper. Les conditions pour y accéder, elles aussi, deviennent de plus en plus intenables pour les ménages. Ceci, en dépit des dispositions légales prises par le gouvernement ivoirien, à partir de 2018, pour freiner cette flambée du coût du logement. Aujourd’hui, la situation a atteint des proportions telles que locataires, bailleurs et vendeurs de matériaux de construction se jettent la pierre. Incursion dans le secteur de l’immobilier pour mieux comprendre.
En juin 2018, le gouvernement ivoirien a trouvé une solution à la cherté du loyer. Il s’agit du contrat de bail à usage d’habitation. Il interdit au bailleur d’exiger le paiement de plus de deux (2) mois de loyer d’avance et de deux (2) mois de caution au candidat à la location, lors de la signature dudit contrat. La violation de ces dispositions constitue une infraction pénale sanctionnée d’une amende de 200.000 francs Cfa. Mais cette loi, dont le but est de mettre fin aux abus des propriétaires de logements et qui prévoit aussi une peine d’un (1) mois à vingt (20) ans de prison ferme, semble ne pas avoir d’impact sur les barrières d’accessibilité aux logements. Livrés à eux-mêmes, anciens et nouveaux locataires sont à la merci de personnes véreuses et organisées en agents immobiliers.
Dépenses sans trace
Sur environ 124 agences immobilières agréées en Côte d’Ivoire, certaines dont les responsables se croient tout permis, foulent au pied le contrat de bail indiqué plus haut. Et pourtant, cette activité juteuse (du fait de la forte demande de logements), attire des intermédiaires se faisant passer pour des professionnels du métier d’agent immobilier. Ils proposent, pour le compte d’un propriétaire de maisons, des logements en location ou en vente. Cela se fait par affichage dans la rue. Mais la nouvelle tendance est à l’utilisation des réseaux sociaux, où ils pensent trouver facilement des intéressés.
À Abidjan, le constat est clair. Ces incontournables personnes qui opèrent en toute illégalité détiennent la quasi-totalité du marché des maisons en location et/ou en vente. « Malgré la loi sur le bail à usage d’habitation en vigueur et les sanctions encourues par les contrevenants, nous continuons de souffrir. Les propriétaires de maisons changent de fusil d’épaule. Ils travaillent en collaboration avec des soi-disant agents immobiliers. Ces derniers nous prennent deux (2) mois de caution, deux (2) mois d’avance et un (1) mois d’agence non-remboursable. A ce niveau, vous êtes dans un système de ni vu, ni connu, où vous n’avez pas droit à un reçu, au vu et au su du propriétaire de maison. Ils exigent aussi un (1) mois de garantie leur permettant de payer les factures laissées par le locataire sortant. Un autre problème : pendant votre déménagement, il est difficile de vous restituer la caution. Soit le bailleur vous demande d’épuiser la caution, soit il vous dit qu’il doit effectuer des réparations », explique Cissé Djibril, locataire d’une maison de trois (3) pièces à Cocody.
Les intéressés sont ainsi dans l’obligation de se référer à ces agents immobiliers non agréés, avec qui la recherche de maison est conditionnée. Il faut assurer son déplacement à hauteur de 5.000f Cfa, parfois revu à la hausse. Si vous passez toute une journée avec lui sans être satisfait, il vous revient de prendre encore en charge le coût du transport le lendemain. À cela, s’ajoute le droit de visite imposé aux demandeurs désireux de s’assurer du bon état de la maison, avant de se décider. Ce prix varie selon l’humeur de l’agent. Il est de 3.000f pour certains et 5.000f Cfa pour d’autres. Des frais annexes qui ne sont comptabilisés dans aucun document. Ils ne laissent donc aucune trace après avoir perçu l’argent.
Plus de 2 millions pour une maison de 3 pièces
Se faisant le porte-voix des locataires, dame Kouassi ne veut plus entendre les explications à n’en point finir de leurs bailleurs, qui brandissent toujours ‘’la cherté des matériaux de construction’’ pour justifier la hausse du prix du loyer. « Dans le temps, on trouvait facilement des loyers mensuels abordables dans la commune de Yopougon où je vis avec ma petite famille. Mais aujourd’hui, le loyer d’un studio a dépassé la barre des 80.000f Cfa. Alors qu’il oscillait entre 35.000f Cfa et 45.000f Cfa, il y a quelques années », regrette-t-elle. À Adjamé, Attécoubé et Abobo, les agents immobiliers non reconnus par l’Etat font la loi. Selon Ibrahim Samassi, locataire d’un studio à Adjamé-Bracodi, le prix des studios, des maisons de 2 pièces et de 3 pièces dont le loyer est compris entre 30.000f et 60.000f Cfa, a pratiquement doublé.
Les propriétaires de maisons, dans la commune huppée de Cocody, pratiquent également des prix exorbitants. A en croire Ibrahim, locataire d’une maison de 2 chambres-salons à Cocody, les studios de 70.000f Cfa sont passés à 110.000f Cfa la location mensuelle. Les nouveaux studios oscillent entre 110.000f et 130.000f Cfa. Les chambres-salons sont entre 130.000f à 185.000f Cfa, les 2 pièces vont de 180.000f à 250.000f Cfa. Sans compter le paiement de 6 mois de caution, y compris la garantie pour assurer l’état des lieux de la maison et régler les factures (Sodeci et Cie) en attente.
Par ailleurs, selon un agent immobilier de Cocody, le loyer mensuel oscille entre 150.000f et 500.000f Cfa, pour un logement de 2 à 3 pièces selon qu’il est en périphérie ou au centre d’Abidjan.
Les communes de Treichville, Marcory et Koumassi n’échappent pas à cette flambée constatée dans les 10 communes d’Abidjan. « Treichville est une vieille commune et un centre commercial. Elle (la commune) donne envie d’y faire des affaires. D’où, la cherté du loyer des nouvelles constructions », indique Yapo Beda Laurent, résident dans ladite commune. Qui donne l’exemple d’un immeuble sur l’avenue 6, rue 5 dans la zone du 2e arrondissement, dont le propriétaire a fixé le loyer du studio à 180.000f. « Le propriétaire demande une caution d’un an. Mais c’est tellement cher que l’immeuble n’est pas totalement occupé », indique, sous le sceau de l’anonymat, un locataire.
« Ici, le propriétaire demande de mettre en location une maison de 3 pièces à 300.000f Cfa. Pour y accéder, il faut s’acquitter de 7 mois de loyer (3 mois de caution, 3 mois d’avance et 1 mois pour l’agent immobilier), soit un total de 2.100.000f Cfa à débourser au préalable », nous confie Pascal Y. K., fonctionnaire à la retraite et intermédiaire immobilier à Yopougon.
Un marché de dupe
La surenchère faite sur les maisons en location est une pratique courante. Elle s’applique à plusieurs niveaux. « Vous pouvez être dans la maison pendant des années, sans faire de travaux de commodité. Mais votre bailleur peut majorer le loyer de 20.000f, 30.000f voire 40.000f. Le mien informe qu’une loi lui fait droit d’augmenter le loyer tous les 4 ans. Il fait donc une majoration de 20 à 30 %. Si vous faites des modifications sur la maison, il ne prend pas cela en compte. S’il est raisonnable, il rembourse le coût des travaux sur une longue période. Pour récupérer en intégralité notre caution, nous cédons la maison (qui ne nous appartient pas) à un tiers. Tout en faisant croire au propriétaire que nous y sommes toujours, le nouveau locataire nous restitue notre caution », explique ce locataire d’une chambre-salon dans la commune de Yopougon.
Hausse des prix des matériaux de construction : le mal ?
Malgré la loi sur le bail à usage d’habitation, les sanctions qui en découlent et le numéro vert (1378) pour dénoncer les contrevenants, le prix du loyer ne cesse de grimper à Abidjan. Et pour cause : « ma maison m’a coûté une fortune à la construction. Je la donne à qui je veux. Je ne suis pas obligé de m’inscrire dans votre logique (celui du contrat de bail : ndlr). Je n’ai pas construit pour perdre. Je dois assurer mes vieux jours et non quémander le pain d’autrui. Dites-moi qui prend en charge l’augmentation du prix des matériaux de construction et les différents devis des entrepreneurs », se lâche C.B.K, un bailleur domicilié à Cocody. Des propos qui en disent long sur le fond de la problématique de la cherté des loyers en Côte d’Ivoire.
Une grangrène
Pour en savoir un peu plus sur le prix des matériaux de construction, nous avons sillonné les communes de Grand-Bassam, Yopougon, Attécoubé et Cocody. Des informations relatives au coût des matériaux de construction recueillies dans les quincailleries, sur les chantiers de constructions de maisons et dans les usines de fabrication de matériaux de construction, ont permis de cerner les causes de la surenchère faite sur le loyer.
À Grand-Bassam, l’entrepreneur en charge d’un chantier de construction d’un immeuble R+4 nous apprend ceci : « le pot de peinture qui coûtait 17.000f Cfa, il y a deux ans, est aujourd’hui vendu à 25.000f Cfa. La main-d’œuvre est devenue chère. Avant, les ouvriers étaient payés à 6.000f, la journée. Mais aujourd’hui, ils demandent 8.000f pour une journée de travail. Même les manœuvres réclament au moins 5.000f par jour ».
Dans une usine à la zone industrielle de Yopougon, on note que le prix des matériaux de construction telle que la botte de fer économique est passé de 43.000 à 55.000f Cfa (prix chez le détaillant). Dans une autre usine de la commune, la même botte de fer est vendue à 51.500f Cfa. Outre le fer à béton, c’est le prix de la tonne de ciment qui connaît une hausse en ce moment. De 66.000f, voire 68.000f dans la commune d’Attécoubé, la tonne de ciment se vend à 70.000f ou à 75.000f Cfa, le transport y compris.
Le constat qui se dégage, c’est que la hausse du prix de la tonne de ciment est une réalité chez tous les opérateurs des unités de broyage de clinker, un constituant du ciment. Approchés, des propriétaires de quincailleries à Cocody ont déploré l’augmentation du coût de la matière première et la pression sur le transport. Toute chose qui a pour conséquence, la hausse actuelle du prix de la tonne de ciment d’environ 2%.
3 QUESTIONS A…
Traoré Fatou Responsable commerciale et experte en immobilier
Mme Traoré Fatou, qu’est-ce qui explique l’augmentation du coût des maisons, selon vous ?
Abidjan est assez saturée à cause de l’augmentation rapide de la population. Selon les statistiques du Recensement général de la population et de l’habitat (Rgph) de 2021, la population abidjanaise est estimée à près de 6 millions d’habitants. Vous êtes sans savoir que toutes les institutions, les consulats, les grosses entreprises sont centrées à Abidjan. Le pôle économique de notre pays est dans la capitale économique. En plus, en ce moment, il y a énormément de travaux publics qui sont en train d’être effectués à Abidjan par le gouvernement. Au regard de la prochaine fluidité routière et d’autres facteurs économiques, beaucoup d’investisseurs immobiliers locaux et internationaux investissent en ce moment en Côte d’Ivoire. De ce fait, il est difficile de s’acheter un terrain avec leurs prix exorbitants. Il faut payer les commerciaux, les employés de l’entreprise. Vous convenez avec moi que personne ne va venir investir, sans vouloir se faire des bénéfices. C’est donc cette quête de bénéfices qui entraine forcément une augmentation.
Quelles sont les conséquences de la surenchère des maisons en location sur vos activités ?
En tant que promoteur immobilier, aménageur foncier agréé, ce phénomène a un véritable impact sur notre activité. Elle occasionne le ralentissement de notre business. Elle peut même transformer certains agents immobiliers, qui ont des prédispositions de l’inconscience, à devenir des agents véreux et arnaqueurs. Cette situation peut également nous plonger dans des difficultés. A savoir le paiement en dent de scie de nos employés, nos commerciaux. Elle va même contraindre certaines entreprises à aller au licenciement, à la compression de leurs effectifs voire à la fermeture. Selon moi, la surenchère des maisons en location est une entrave au développement social. Elle est même à la base de la prolifération des bidonvilles, des quartiers précaires et des installations anarchiques dans la capitale économique ivoirienne.
Que proposez-vous comme solution, pour aider à résoudre ce problème ?
À mon avis, il faut désengorger la ville d’Abidjan. Il y a près de 6 millions d’habitants pour cette seule localité. Et pourtant, on a des zones habitables comme Grand-Bassam, Alépé, Dabou, Songon, Yaou, etc.
Il faut que l’Etat de Côte d’Ivoire nous aide tous en développant les 4 moyens de transport : lagunaire, routier avec des bus, le ferroviaire (le métro) et pourquoi pas aérien. Aussi faut-il décentraliser les entreprises, délocaliser les grandes écoles, les universités, les ministères et les sièges des institutions nationales et internationales.
En conclusion, nous disons que la surenchère des maisons en location a gangréné presque tous les secteurs d’activités. Chaque jour, les prix des loyers flambent et les Ivoiriens s’en plaignent. Nous, à Siipaf, nous avons une solution durable. On permet à nos clients de devenir propriétaires de maisons. Il vous suffit de souscrire à un projet, vous payez une part initiale sur 4 ans pour les logements sociaux et à partir de la 4è année, vous habitez la maison. Vous continuez de nous payer à tempérament jusqu’à 7 années restantes.