Vincent Toh Bi Irié : “On est devenu dangereusement paresseux”

On est devenu sérieusement paresseux dans ce pays. Et cela ne semble gêner personne.
Au Nord et au Grand Ouest, les gens bradent leurs terres contre rien. Les villageois sont assis au village et vivent de ce que leur donnent les gens à qui ils ont confié leurs terres, généralement des non Nationaux. Dans un village du Nord où je suis passé, le plus grand planteur local ivoirien possédait un champ de 4 hectares. Le plus grand planteur non National possédait, lui, un champ de 200 hectares. Ce sont 15 villageois qui lui ont cédé leurs terres. Celui-ci leur remet 100 ou 200 mille francs par année de récolte. Pendant ce temps, ils sont au village à causer toute la journée, pendant que les autres dorment au champ.

Chez les frères du grand Ouest et maintenant du Centre, on vend les terres à vil prix, pour organiser…des funérailles. Il faut que leurs parents, qui ont vécu toute leur vie dans la misère, partent dignement dans l’au-delà, à leur mort. En français facile, cela veut dire qu’il faut que les vivants mangent abondamment et s’enivrent à l’excès devant le beau cercueil du défunt, pour que Dieu autorise qu’il soit éligible au Paradis. Donc on vend des hectares, 1, 2, 30, 50, à des prix d’un loyer mensuel de Yopougon Sicogi, pour organiser les obsèques.
Lorsqu’ils confient leurs terres aux éleveurs ou aux agriculteurs non Nationaux, les propriétaires les harcèlent tous les jours, pour avoir 1000 F ou 2.500 F, pour acheter le repas du jour ou de l’alcool, au lieu de mettre en valeur leurs terres eux-mêmes.

Au village, les jeunes traînent dans les rues. Ils ne vont plus au champ. Ils jouent à la loterie, au damier, au ludo. Ils décortiquent les buzz sur Facebook, boivent de méchants alcools et fument ou ingurgitent dans leur sang ou dans leurs gorges de la drogue.

Dans un village du Centre de la Côte d’Ivoire, les enfants mineurs ne vont plus au champ, pour aider leurs parents dans les travaux. On dit qu’il y a des services spéciaux du Gouvernement qui mettent ces parents en prison. Si jusqu’à leur majorité administrative et juridique, les enfants ne doivent pas aller au champ, comment transmet-on les valeurs de travail et d’effort aux enfants ? Comment inculque-t-on l’amour de la terre à des jeunes, dans un pays de tradition séculaire agricole ?

J’ai un ami, Secrétaire général d’une grosse structure parapublique, qui m’a demandé, il y a quelque temps, d’aller raisonner les membres de son village. Ceux-ci lui demandaient de les payer, avant qu’ils aillent nettoyer la cour de leur école et de leur centre de santé, pour lesquels il avait acheté du matériel de salubrité.
Par ces temps de pluie, les plantations sont envahies par des agoutis qui ravagent des hectares de jeunes plantes qu’ils affectionnent. Une meute d’agoutis. Il n’y a personne au village pour aider à capturer ces rongeurs très demandés, qui coûtent au bas mot 20.000 F l’unité sur le marché. Et pourtant, il n’y a presque pas de viande dans les sauces du village. Là-bas, on ne mange la viande que pendant les funérailles, “Paquinou” et le 1er janvier.

Pareillement, il n’y a plus de main d’œuvre au village, pour entretenir les plantations. Les jeunes viennent au champ une seule journée, bâclent le travail, récupèrent leur dû, vont s’enivrer au village et ne reviennent plus le lendemain, malgré le prix fort payé. La plupart des plantations sont en total déficit de main d’œuvre, malgré l’offre.

Quand ils s’ennuient au village, les jeunes se déportent sur les routes nationales, les barrent, comblent deux ou trois petits trous avec du sable et harcèlent les automobilistes, pour le paiement d’une taxe imaginaire. Une seule journée au champ leur permettrait d’avoir 10 fois ce qu’ils obtiennent dans ces rackets. Mais les travaux champêtres sont trop difficiles pour eux.

De toutes les façons, ils auront de l’argent facile, un jour ou l’autre. Car les politiciens qui viennent au village, tous les week-ends, jettent des millions faciles sur lesquels les jeunes se battent. Pourquoi donc aller s’épuiser inutilement au champ ? D’ailleurs, au village, on ne cotise plus pour rien comme avant. Les politiciens paient tout. L’effort est donc anesthésié.

En ville, il y a des jeunes qui affichent, eux aussi, de dangereux comportements de paresse. Ils ne font aucun effort. Tout baigne dans la facilité. J’ai dit à un jeune, qui me demandait comment on fait pour avoir une consultation aux Nations-Unies, d’aller tous les jours consulter les avis de vacances de postes sur les tableaux des agences des Nations-Unies. Le jeune m’a dit, avec un sérieux perturbateur, de le faire, moi, et de l’informer, quand je serai au courant d’un avis de vacance de poste.

J’ai recommandé des jeunes diplômés pour des stages à des amis du privé. Au bout d’une semaine, certains d’entre eux ont été renvoyés. Ils venaient en retard, s’absentaient sans raison ou étaient distraits et sans rendement au travail. Des jeunes se défendent, en disant que c’est parce que nous, les vieux, nous n’avons pas donné le bon exemple. Ils ont peut-être raison, parce qu’il y a beaucoup de vieux yéyés maintenant parmi nous.
Mais est-ce parce que nous ne vous avons pas donné le bon exemple que vous devez détruire votre avenir et celui de votre descendance ? Quelle est cette génération d’extrême facilité ?
Tout le monde cherche l’argent, la gloire et la célébrité sur les réseaux sociaux. Tout le monde est en quête de likes et de vues. L’effort intellectuel et l’effort physique ne font plus partie du langage d’une partie de la jeunesse inconsciente.

En Côte d’Ivoire, la plus grande industrie, qui occupe l’intérêt de la majorité des Ivoiriens, c’est l’industrie de la distraction. Cela rend tellement triste de voir les pitreries, les comédies à deux balles sur les réseaux sociaux. Le plus inquiétant, c’est que la Côte d’Ivoire est en train de contaminer tous les pays de la sous-région.
Très peu de voix s’élèvent dans le domaine public et officiel, pour s’inquiéter de cette dérive de paresse sans précédent.

La Grande Civilisation romaine a abordé son déclin, quand les jeunes femmes et les jeunes hommes ont commencé à rêver de gloire. Tout en passant de longues journées dans les orgies, les fêtes, les partouzes, les saunas. Tout s’est effondré, quand le peuple a commencé à tricher avec les valeurs qui ont bâti l’Empire…

Une contribution de Vincent Toh Bi Irié, président de l'Ong "Aube Nouvelle"

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